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UN MEME CRI

 


ELISABETH BONVARLET ET ALBERT HAGENAARS

Ils devaient être trois. Mais Bert Bevers n’a pu se joindre au dernier moment á leur exposition. C’est donc Elisabeth Bonvarlet et son ami hollandais Albert Hagenaars que nous avons rencontrés hier á l’Ancienne Chapelle au milieu de silencieux des fraîchement accrochées sur le fond silencieux des voûtes de pierre.
Au premier coup d’œil sur leurs toiles c’est un grand choc visuel; un monde étrange, barbare, inhumain qui s’accroche derrière des barreaux de couleurs avec des grincements de dents, des yeux troués de peur, des révoltés qui claquent, un monde aussi trop nu où il n’y a rien de rigide, mais qui approche, la décomposition, l’angoisse nucléaire, la solitude’….
Bonvarlet peint l’être à vif, en groupe ou solitaire, silhouettes de chairs vivantes, trop vivantes qui rosissent ou rougeoient, cernés de noir ou simplement évoquées par un trait charbonneux, incisif. Une unité de masses agglutinées ou détachées, infiniment pathétiques dans l’angoisse du geste qui retombe, de l‘œil qui questionne ou qui subit, de la bouche qui ne peut plus mordre mais crier, hurler les regards…
Peinture fantasmatique, précise et inspirée, fiction d’un avenir décadent où les têtes roulent dans un dernier éclair d’humour, où l’enfant, seul, ferme la bouche comme pétrifié par la chair rose de sa mère.
Elisabeth peint depuis cinq ans, habitant près de Chartres où elle a d’ailleurs exposé l’an dernier. Elle recherche inlassablement à traduire cette vision morbide d’une humanité mourant de la folie des hommes, de la civilisation robotisée prémices à toutes les enflures de l’imagination des «nouveaux romantiques».

Romantique, c’est ainsi que se définit Albert Hagenaars et accordé à la vision de son amie il s’attache à peindre ses frustrations. Le style est très différent. Les couleurs dansent, dans les tons ocre, brique, jaune, rouge et des touches de bleu prussien, elles explosent, grassement appliquées au couteau sur des toiles en bois, grillage multicolore de la fête évoquée, de la tendresse de l’artiste.
Derrière l’homme est seul avec deux yeux très noirs qui fixent masque, clown ou «putain», il regarde le monde infernal de la ville –la «vie dure» des grandes villes, dévoureuses du «petit homme» de Reich…
Il a vingt-deux ans et tout en voyageant beaucoup pour capter l’émotion, il reste attaché à sa petite ville Bergen op Zoom en Hollande.
Etudiant en lettres, il aime les poètes (particulièrement J.-J. Slauerhoff, poète maudit dont il a fait un portrait sur son lit de mort en forme d’humour) dont les lignes murmurent sur ses toiles, soufflent leur message d’amour et de rage. Influencé par le groupe Cobra (Appel, Constant, Corneille, Jorn) il se réfère surtout à un peintre hollandais, son favori Willem de Kooning.

Entre Bonvarlet at Hagenaars, qui se sont
rencontrés il y a deux ans à Amsterdam, il y a une grande complicité, un même désir d’exprimer la violence, la provocation et la magie’…
Les messages tournoient: l’homme est prisonnier du carcan des couleurs, les têtes rongées déformées, rongées palpitent encore comme un cœur arraché.
«C’est de la peinture ultra moderne» disent les visiteurs…

Nous avons demandé à quelques-uns de nous communiquer leurs impressions et nous n’avons rencontré (en passant de lycéens à des personnes plus âgées) que de bonnes appréciations avec un leidmotiv: «ça fait réfléchir», «les couleurs sont très belles».
Un bon encouragement pour cette première journée et première expérience à Dreux. Le soir à 18 heurs, le vernissage allait faire du bruit! Des amis chartrains d’Elisabeth devaient venir animer les peintures sur un mode nouveau!: il s’agit du groupe «Camizole» qui vient d’enregistrer son premier disque. Un style également déroutant au moyen de saxophones, synthétiseur, batterie et guitare.

UN VERNISSAGE INSOLITE
Installés aux quatre coins de la salle, les musiciens ont fait vibrer la voûte de l’ancienne chapelle devant une trentaine d’auditeurs légèrement décontenancés.
Manifestation étrange dans cet auguste lieu et tout un spectacle: des accents de free jazz réhaussés par instant de quelques «trouvailles», techniques surprenantes, cris d’oiseaaux, poires klaxonnantes, percussions sur des enjoliveurs, sans oublier la note exotique donnée par des gongs asiatiques. Une musique par instant cosmique et «planante» qui encourage un musicien –et ce fut le clou de la soirée- à grimper à trois mètres du sol dans une des niches de la chapelle, la tête recouverte d’une cagoule, cette position surélevée donnant incontestablement un relief supplémentaire au groupe qui devisa musicalement de longues minutes ainsi avec le sérieux «renfermé» ce style de musique difficilement communicable.
L’habituel et doux claquement du bouchon de champagne était remplacé par un coup de pistolet (d’enfant tonitruant mais des plus pacifiques puisqu’il donnait le départ d’une nouvelle phase musicale encore plus délirante du groupe «Camizole».
Une musique et une peinture résolument tournées vers le futur… et l’imagination.

A.B.

LA REPUBLIQUE DU CENTRE, 3 JANVIER 1978


Un vernissage «fou-fou-fou» à l'ancienne chapelle avec «Camizole»
Force est de constater que le groupe (Camizole) ne s'enferme pas dans une musique (conventionnelle). Elisabeth Bonvarlet et Albert Hagenaars avaient donné asile aux quatre jeunes Chartrains, pour l'animation de leur vernissage qui s'est tenu lundi soir à l'Ancienne Chapelle (voir notre édition de mardi).

Mercredi 4 janvier 1978


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